La justice climatique

Les clés
pour comprendre

Aujourd’hui, le constat est bien là, plus personne ou presque ne doute de l’urgence climatique et sur la nécessité d’agir.

Nous vivons dans une époque géologique appelée l’Anthropocène, marquée par l’influence prépondérante des activités humaines sur les processus terrestres avec principalement l’utilisation des combustibles fossiles (tels que le charbon, le pétrole et le gaz) qui produisent des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère.

L’Accord de Paris adopté en 2015 stipule que 196 pays visent désormais une limitation du réchauffement climatique en deçà de 2 degrés. Néanmoins, en 2022, les rapports scientifiques estiment que les États européens ont pris des mesures qui sont largement insuffisantes pour y parvenir.

Les premières conséquences du changement climatique affectent déjà de nombreux pays et causent des phénomènes climatiques extrêmes et globaux de plus en plus réguliers. Le rapport du GIEC de 2023, alerte une nouvelle fois de la menace que représente le changement climatique pour le bien être de l’humanité. Il existe une fenêtre d’opportunité pour garantir un avenir vivable et durable pour tous, qui se ferme rapidement.

Problématique : il faut une action conjointe des institutions, entreprises et citoyens ! Seules les institutions sont à même d’imposer des mesures à la hauteur d’un tel défi.

Sécheresses et incendies

Les températures élevées et la diminution des précipitations contribuent aux sécheresses, augmentant le risque d’incendies de forêts dévastateurs.

Raréfaction de l’eau douce

Les sécheresses et les modifications des régimes de précipitations réduisent la disponibilité en eau douce, affectant les ressources en eau essentielles.

Innondations

Les événements météorologiques extrêmes, tels que de fortes pluies, entraînent des inondations soudaines et dommageables.

Elévation du niveau de la mer et zones côtières

La fonte des glaciers et des calottes glaciaires entraîne une élévation du niveau de la mer, menaçant les zones côtières et les villes.

Perte de la biodiversité

Les habitats naturels sont perturbés, entraînant une perte de biodiversité à mesure que les espèces luttent pour s’adapter.

Erosion des sols

Les événements climatiques extrêmes et les pluies intenses accélèrent l’érosion des sols, nuisant à l’agriculture et à l’environnement.

Vénements météorologiques extrêmes

Les changements climatiques augmentent la fréquence des ouragans, des tempêtes et d’autres événements météorologiques violents.

Santé

Les risques de condition de chaleur et d’humidité peuvent favoriser l’augmentation des maladies pulmonaires, d’hyperthermie, les maladies infectieuses (moustiques) et enfin les décès prématurés des personnes fragiles ou vulnérables.

Migrations : déplacements humains et conflits

Les conséquences climatiques, telles que les inondations et les sécheresses, obligent les populations à quitter leurs foyers, entraînant des déplacements massifs.

Hausse des températures et vagues de chaleur

Les changements climatiques provoquent une augmentation des températures, entraînant des vagues de chaleur plus fréquentes et intenses.

Schéma des conséquences du changement climatique

Cette inaction des États montre qu’ils ont failli sur les deux fronts: la protection de leurs populations et la capacité à faire prévaloir l’intérêt général. Le changement climatique impacte aujourd’hui toutes les générations, notamment les générations futures dans leurs droits humains universels à la vie et à la sûreté comme inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Ce sont les ONGs, activistes, et la société civile toute entière qui sont dans l’obligation de prendre le relai et se mobiliser pour défendre leurs droits de vivre dans un environnement sain et un droit à la santé sans discrimination. Ils ont entrepris de poursuivre les Etats inactifs devant la justice.

Plus de 2000 procès de cette « justice climatique » se déroulent aujourd’hui sur tous les continents, à l’échelle nationale et internationale.

La justice semble devenir le dernier rempart pour obliger les États à prendre leur responsabilité en respectant les accords qu’ils ont eux-mêmes signés et à prendre des mesures engageantes face à l’urgence climatique.

Le projet Justice Climatique suit principalement le cas de 6 jeunes Portugais qui ont porté plainte contre 32 pays européens pour inaction climatique. En se basant sur leurs cas personnels, ils attaquent ces pays directement auprès de la Cour européenne de droits de l’homme (CEDH).

Pour la première fois, cette juridiction internationale juge recevable une telle demande et positionne le combat au niveau d’un continent.

Le 29 mars 2023 à Strasbourg, ce sont deux autres affaires emblématiques dont les audiences de deux autres affaires emblématiques ont eu lieu : l’Affaire du contentieux français de Grande Synthe et le recours Suisse des Aînées pour le climat. Les enjeux de ces deux affaires sont interconnectés avec le recours des jeunes portugais. L’audience pour ces derniers a eu lieu le 27 septembre 2023. Elle marque un premier aboutissement de plusieurs années de combats menés par les plaignants, juristes, activistes et ONG derrière ces affaires. Elles constituent une première historique dans une cour supranationale. La cour a décidé de reporter l’examen de ces affaires jusqu’à ce que la Grande Chambre ait elle-même statué sur chacun d’eux.

Les arrêts de la CEDH sont juridiquement contraignants : ils pourraient tenir les Etats légalement responsables pour leur inaction face au réchauffement climatique et ses conséquences sur les individus. Les plaignants pourraient donc obtenir un résultat qui aurait de profondes conséquences sur les obligations des gouvernements européens en matière d’atténuation du changement climatique, ce qui aurait un impact pour la population de tout un continent mais également au niveau mondial ! Nous sommes à un tournant crucial du combat pour la justice climatique et c’est le procès d’une génération qui s’est joué à Strasbourg en septembre 2023.

Les suites de l’Affaire du Siècle en France et du procès Urgenda aux Pays-Bas (voir plus bas) viennent également illustrer ce récit en immersion d’une mobilisation historique et porteuse d’un nouvel espoir pour le mouvement écologique.

Quatre procès
historiques

Urgenda

En 2015, l’association néerlandaise de protection de l’environnement, Urgenda ainsi que près de 900 citoyens neerlandais ont demandé à la justice de leur pays de reconnaître l’obligation pour l’Etat de réduire drastiquement ses émissions de dioxyde de carbone. Ils invoquent plusieurs principes de droit international, dont le droit international du climat, qui font peser sur l’État une obligation de diligence due. L’enjeu : protéger les citoyens néerlandais et du monde entier ainsi que la nature, du réchauffement climatique et des activités polluantes.

Le 24 juillet 2015, le tribunal de La Haye a donné raison aux requérants. Il a souligné la « gravité des conséquences du changement climatique et du risque majeur qu’un changement climatique se produise » ce qui a permis la mise en place d’une loi climatique nationale très ambitieuse: viser 95% de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à horizon 2050.

Le 20 décembre 2020, la Cour Suprême néerlandaise, la plus haute juridiction des Pays-Bas, a confirmé cette décision historique : en se fondant sur la Convention Européenne des Droits de l’Homme, elle a conclu que les droits humains devaient être protégés et que juges et citoyens avaient bel et bien leur mot à dire pour préserver ce droit essentiel.

Bien qu’il ne s’agisse pas du premier litige juridique en matière de changement climatique, la décision initiale de 2015 contre les Pays-Bas a été saluée dans le monde entier comme le premier cas de jurisprudence réussi en matière de Justice climatique. La décision sur l’affaire néerlandaise a conduit à des poursuites similaires en matière de justice climatique dans d’autres pays, notamment la Belgique, la France, l’Irlande, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne, la Suisse et la Norvège.

Marjan Minnesma
Cofondatrice et directrice générale de la Fondation

Urgenda, est une figure emblématique de la justice climatique. En 2015, elle a mené une marche de 600 km jusqu’à la Cop21 à Paris.  Elle a marqué l’histoire en réussissant à contraindre l’État néerlandais à réduire ses émissions de carbone grâce à une victoire judiciaire notable, un accomplissement salué par l’attribution du Prix Goldman en 2022. Déterminée à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius, elle prône une transition vers une énergie 100 % durable d’ici 2030.

L’affaire du siècle

En décembre 2018, 4 organisations d’intérêt général Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), Greenpeace France et Oxfam France, ont uni leurs forces pour lancer la mobilisation de l’Affaire du Siècle.

Leur cible : assigner l’Etat français en justice devant le tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques.

Leur objectif: faire reconnaître par les juges l’obligation de l’Etat de prendre des mesures pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C, afin de protéger les Français.es face aux risques induits par les changements climatiques

En octobre 2021, le verdict tombe et l’Etat français est reconnu coupable d’inaction climatique. L’Etat est donc contraint d’agir pour prendre “toutes les mesures utiles” pour réparer, d’ici au 31 décembre 2022, le préjudice écologique causé par le dépassement illégal des budgets carbone entre 2015 et 2018.

Cependant en 2023, le délai accordé par le Tribunal Administratif de Paris à l’Etat français pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre a expiré. Les associations de l’Affaire du Siècle constatent que l’Etat n’a pas agi suffisamment depuis le jugement du 14 octobre 2021 le condamnant. Elles ont envoyé le 20 décembre 2022 un courrier officiel au Gouvernement et ont demandé le 14 juin 2023, une astreinte financière d’1,1 milliard d’euros pour obliger l’Etat à agir. Le combat continue donc…

Justine Ripoll

Elle pilote les campagnes de “Notre Affaire À Tous”. Représentante incontournable de l’association dans l’Affaire du Siècle, elle se consacre à la lutte contre les multinationales climaticides et l’inaction de l’État français. Portée par une vision de justice économique et sociale, elle exhorte le gouvernement à respecter ses engagements.

Les aînées pour la protection du climat

L’action des Aînées pour la protection du climat, visant à pousser la Suisse à intensifier ses efforts climatiques, a débuté en 2016. L’association se compose de plus de 2000 femmes âgées de plus de 64 ans. Elles accusent la Suisse de menacer leur santé et leur droit à la vie en ne luttant pas assez contre le réchauffement climatique. Les femmes âgées étant particulièrement touchées par les canicules, les Aînées enjoignent la Confédération à adopter des mesures afin de respecter la trajectoire des 1,5 °C fixée à la COP21.

Malgré une série de recours, elles se sont heurtées au refus des autorités, jugeant leur démarche irrecevable. L’argument central ? Les plaignantes ne seraient pas directement affectées par le dérèglement climatique pour avoir le droit de saisir la justice. Leurs efforts continus les mènent jusqu’au Tribunal fédéral qui, en mai 2020, rejette leur requête, considérant à nouveau qu’elles ne subissent aucune atteinte à leurs droits fondamentaux. Les Aînées pour la protection du climat décident fin 2020 de faire recours contre cette décision auprès de la Cour européenne de droits de l’homme (CEDH). La requête introduite porte sur le fait que la Suisse ne remplit pas son devoir de protection qui découle de l’article 2 (droit à la vie) et l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale). Les Aînées font également valoir une violation du droit à un recours effectif puisqu’aucun tribunal suisse n’a examiné l’action climatique en justice d’un point de vue matériel.  La CEDH à Strasbourg priorise leur dossier, le destinant à la Grande Chambre, réservée à des procédures exceptionnelles. L’audience a eu lieu le 29 mars 2023. Les Aînées attendent la décision de la CEDH.

Anne Mahrer

75 ans, co-présidente de l’association “Aînées pour la protection du climat”, fondée en 2016. Ancienne conseillère nationale suisse, elle continue de militer pour un engagement politique fort face à l’urgence climatique. Sous sa direction, l’association a porté son combat devant les tribunaux nationaux avant de saisir la Cour européenne de droits de l’homme. Malgré les obstacles judiciaires, Anne demeure résolument optimiste et déterminée, considérant la crise climatique comme un combat à mener pour les générations à venir.

Youth for Climate

Témoins d’incendies de forêt dévastateurs et de vagues de chaleur de plus en plus fortes dans leur pays, 6 jeunes portugais de 11 à 24 ans ont porté plainte en 2020 devant la Cour européenne de droits de l’homme (CEDH). Ils dénoncent la violation de plusieurs de leurs droits, dont le droit à la vie, causé par le réchauffement climatique. Dans cette affaire, c’est la responsabilité collective de l’Europe face au changement climatique que soulèvent les requérants, ainsi qu’une demande de justice climatique. En effet, la Cour européenne de droits de l’homme exige des vingt-sept Etats membres ainsi que de la Suisse, la Russie, la Turquie, la Norvège et le Royaume-Uni, d’analyser et d’agir conformément à leurs engagements découlant de l’Accord de Paris du 12 décembre 2015. Dans la pratique, seules les juridictions nationales disposent des outils nécessaires pour contraindre les gouvernements à prendre les mesures pour limiter le changement climatique à l’objectif de 1,5°C fixé par  l’Accord de Paris . Cette affaire établit pour la première fois au niveau d’une juridiction internationale le lien direct entre les droits de l’Homme et le climat. De plus, la CEDH accorde une importance particulière à l’affaire en acceptant la priorité de cette plainte au vu de l’urgence soulevée.

Selon Corina Heri : Le plus souvent, la Cour n’indique pas quelles mesures sont nécessaires pour mettre en œuvre ses conclusions en droit interne. Cette tâche est laissée aux États eux-mêmes, qui connaissent mieux le contexte national, bien que sous la supervision du Conseil de l’Europe. Néanmoins, les Aînées pour la protection du climat ont invité la Cour à rendre des ordonnances plus spécifiques. Selon elles, la Suisse devrait être condamnée à adopter un cadre législatif et administratif garantissant des émissions globales nettes négatives d’ici à 2030 et des émissions nationales nettes nulles à l’horizon 2050. Cela est certainement possible: la Cour dispose d’un tel pouvoir, bien que rarement utilisé (en vertu de l’article 46 de la CEDH).

Les six Portugais, âgés de 11 à 24 ans, ont décidé d’agir après les violents incendies de 2017 qui ont brûlé les dizaines de milliers d’hectares et fait plus de 100 morts dans leur pays. Ils affirment qu’ils encourent le risque de contracter des problèmes de santé à cause de ces incendies, qu’ils en ont déjà subi notamment des troubles du sommeil, des allergies, des difficultés respiratoires. L’audience devant la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) le 27 septembre 2023.

  • Cláudia

    Âgée de 24 ans, Cláudia est originaire de Leiria, où elle a grandi aux côtés de son frère Martim et de sa sœur Mariana. Elle exerce actuellement le métier d’infirmière dans un hôpital local. De par sa profession, Cláudia est directement confrontée aux effets des vagues de chaleur sur la santé des plus vulnérables.

  • Martim

    Martim, 20 ans, poursuit actuellement ses études dans une école de sciences et technologie à Leiria. Martim aurait préféré ne pas avoir à s’engager dans cette affaire mais les canicules auxquelles il a été confronté ces derniers étés l’ont poussé à agir.

  • Mariana

    Mariana, 11 ans, est la benjamine de ce groupe de jeunes qui ont décidé d’interpeller la justice sur l’enjeu climatique.
    (Passionnée par le monde animal, elle adore se rendre dans la ferme de ses grands-parents. Malgré son très jeune âge, Mariana a conscience de l’existence d’un problème dénommé “changement climatique” qui nuit à son environnement.)

  • Catarina

    Catarina a 23 ans. Elle réside dans une petite localité du district de Leiria au Portugal près de Cláudia, Martim et Mariana. Consciente que, si les gouvernements n’agissent pas de toute urgence, le Portugal devra affronter des vagues de chaleur croissantes, elle s’inquiète profondément pour son avenir et celui de la famille qu’elle espère fonder un jour.

  • Sofia

    Sofia, âgée de 18 ans, habite à Lisbonne avec son frère André et leurs parents. Les conséquences du changement climatique la plongent souvent dans des états d’angoisse et de tristesse. Elle envisage d’étudier la “chimie verte” afin de contribuer à la conception d’alternatives durables pour que les énergies fossiles demeurent là où elles devraient toujours être : sous la terre.

  • André

    André, 15 ans, partage avec sa sœur Sofia une affection pour la science. Il rêve de mettre un jour cette passion au service de la planète. Dans un monde idéal, André consacrerait son temps libre à ses études et ses loisirs mais il choisit de s’engager dans cette affaire pour pousser les politiques à agir.

Les experts du documentaire 
et de la campagne d’impact

Yann Robiou du Pont
Chercheur en justice climatique pour la fondation OpenEarth et université d’Utrecht

« L’objectif de la France est très insuffisant au regard de l’équité, de la responsabilité historique de la France et de sa capacité financière. »
Yann Robiou du Pont est chercheur à l’Université d’Utrecht. Ses travaux portent sur l’équité. Il scrute et évalue les politiques publiques des États et leurs objectifs de réductions d’émissions pour répondre à cette question très simple : est-ce que tel ou tel État en fait assez ? Ses ambitions s’alignent-elles avec l’Accord de Paris ?
Dans “Justice Climatique”, il décortique pour nous les trajectoires climatiques des États européens et nous offre un éclairage scientifique sur leurs engagements actuels.

Corina Heri
Chercheuse postdoctorante du Climate Rights and Remedies Project de l’Université de Zurich

« Le changement climatique peut affecter tous les droits humains. » Corina Heri est chercheuse à la Faculté de droit de l’Université de Zurich. Elle étudie la manière dont le changement climatique ébranle les fondements mêmes de nos droits humains.
Son expertise juridique et sa maîtrise inégalée de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en font une voix incontournable sur le sujet.
Dans le documentaire Justice Climatique, elle nous guide à travers les méandres des arguments juridiques et nous permet de comprendre les stratégies mises en œuvre pour tenir les États responsables de leur inaction.

Ressources